SECTES ET POLITIQUE
I- Qu’est ce qu’une secte pour l’Etat ?
A] Définition d’une secte
Ce qui fait la particularité de l’Etat français de nos jours, c’est l’importance de la valeur de « laïcité » qui lui est attaché. Or la laïcité préconise la liberté de culte pour tous, y compris pour les adeptes de mouvements considérés « sectaires ». Les sectes tout comme les religions n’ont donc aucun statut en France et il ne leur existe pas de définition officielle.
Cependant, étant donné l’importance que prenaient les dérives des sectes, les Renseignements généraux ont finalement dressé une liste de critères pouvant définir une secte :
· Déstabilisation mentale
· Caractère exorbitant des exigences financières
· Rupture induite avec l’environnement d’origine
· Atteintes à l’intégrité physique
· Embrigadement des enfants
· Discours plus ou moins anti-social
· Troubles à l’ordre public
· Importance des démêlés judiciaires
· Eventuel détournement des circuits économiques traditionnels
· Tentatives d’infiltration des pouvoirs publics
Cependant, ces critères ne sont pas acceptés par tous. Nous pensons par exemple qu’il n’y a rien de problématique à ce qu’un adepte s’éloigne de sa famille et qu’il abandonne une majorité de son salaire au mouvement dont il fait partie (critères 2 et 3), tant que ce mouvement lui apporte en échange un certain « réconfort » (les cas ne où les sectes auraient un tel succès ne sont pas isolés) – tant qu’il est conscient et consentant à ces sacrifices, en somme. En revanche, l’atteinte à l’intégrité physique d’autrui est un délit, il est normal qu’il soit puni qu’elle que soit l’origine du mouvement dont fait partie l’adepte.
B] Où se place la limite entre sectes, religions et simples organisations du point de vue de l’Etat ?
Nous pouvons alors nous demander, quelle est la réelle différence entre une secte et une religion ? Est-ce qui si l’enseignement d’un mouvement peut être apparenté à une thèse religieuse, cela suffit pour le caractérisé comme « sectaire » et ainsi le faire perdre pour beaucoup une partie de sa crédibilité ?
Il est vrai que si l’on reprenait les critères caractérisant une secte et qu’on les comparait à ceux d’une religion, l’on trouverait beaucoup de ressemblances. Cependant, il suffit d’étudier la question de plus près pour trouver aussi des différences.
Un mouvement devient donc dangereux dès lors qu’il y a des « contraintes ». Il est beaucoup plus difficile de sortir d’une secte que de changer de religion. Une religion présente plus de liberté, contrairement à une secte, notamment sur le point de vue culturel ; la secte préconise uniquement les lectures écrites par la Communauté, toute ouverture intellectuelle est déconseillée (pas de télévision, lecture philosophique, etc.). En somme, les sectes elles-mêmes sont une atteinte à la liberté de culte : elles ne laissent pas la liberté de choisir à l’individu.
Par ailleurs, dès lors qu’un mouvement (ou un de ses adeptes, dans le cadre de ce même mouvement) commet un délit, le mouvement entier se situe dans l’illégalité : or une véritable religion ne doit pas se situer dans ce cas de figure. C’est là la limite entre les deux termes.
C’est la même chose pour les autres « organisations » (par exemple, caritatives ou philosophiques) : un adhérent ne doit pas être obligé de donner une somme définie de son salaire sous peine d’être exclu, et ne doit pas non plus être obligé d’adhérer à une doctrine. De plus, le mouvement ne doit pas se situer dans l’illégalité sinon cela montrerait des délits pouvant être eux-mêmes considérés comme des atteintes à la laïcité.
C] La liste des sectes : le rapport parlementaire de 1995
Cette liste a été appliquée en 1995, mais aujourd’hui, la notion de secte est remise en cause, et il se pourrait bien que dans quelques temps certaines sectes ne fassent plus partie de la liste. Cette liste contient quelques centaines de sectes, mais nous avons retenus ici uniquement les mouvements les plus importants (plus de 2000 adeptes) :
· Association Lucien J.Engelmajer
· CEDIPAC SA
· Chevaliers du Lotus d'or
· Communauté des petits frères et des petites soeurs du Sacré-coeur
· Eglise de Scientologie de Paris
· Eglise néo-apostolique de France
· Eglise universelle du Royaume de Dieu
· Energie humaine et universelle France-HUE France
· Institut de science vedique maharishi Paris
· Mouvement Raelien Français
· Shri Ram Chandra Mission France
· Soka Gakkai internationale France
Enfin, le nombre des Témoins de Jéhovah en France peut être estimé à 130 000.
II- La position de la loi par rapport aux sectes
Cette valeur fait partie intégrante de la Constitution française, résumée donc dans l’article 2 de la loi de 1905 : la République « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Or cette législation n’est pas parfaite puisqu’elle ne parvint pas à faire échapper des mœurs et des pensées la conception de « cultes reconnus » mis en place par Bonaparte au XIXe siècle, dont faisaient partie les « religions » telles que le christianisme et le protestantisme. En conséquence, les « sectes » ne se situent pas au même niveau que les « religions » aujourd’hui, ces dernières ayant joui par le passé d’un statut officiel qui a permis aux individus de reconnaître entièrement ces cultes qui font aujourd’hui partie des mœurs ; ce n’est pas le cas des sectes.
En revanche, ceci ne veut pas dire que les délits commis par des dérives sectaires ne sont pas punis, en effet si un Témoin de Jéhovah commet un délit (par exemple un viol) il sera puni au même titre que s’il faisait partie de n’importe quel mouvement –voire aucun. On en déduit que la dangerosité des sectes en France est davantage caractérisée par les actions et comportements –si illégaux- des mouvements « sectaires » que par le contenu de leur doctrine – si théoriquement dangereux soit il.
De cette façon, les associations telles que l’ADFI ne s'attaquent pas au contenu des croyances - aussi aberrantes soient-elles - mais mettent en cause les comportements et les pratiques qu'elles camouflent.
L'attendu du Procès de Lyon (TGI), 22 novembre 1996 résume ainsi bien la situation :
« Des individus qui utilisent une doctrine philosophique ou religieuse, dont l'objet est licite, à des fins financières ou commerciales, pour tromper volontairement les tiers sont susceptibles d'être poursuivis pour le délit d'escroquerie.
L'exercice ou la pratique d'un culte peut d'ailleurs donner lieu à des manœuvres frauduleuses de la part de certains membres de cette religion en vue de tromper des tiers de bonne foi.
L'appréciation de ces manœuvres frauduleuses à travers une pratique religieuse revendiquée n'implique pas un jugement de valeur sur la doctrine professée par cette religion, mais concerne la licéité des moyens employés.
Les juridictions pénales ont toute latitude pour apprécier l'utilisation de ces moyens externes et de vérifier s'ils n'ont pas pour but de tromper volontairement les contractants. »
En théorie, cette position vis-à-vis des « religions » et des « sectes » est bien abordée puisqu’elle parvient à conjuguer de façon cohérente deux valeurs essentielles de la République française : l’Etat assure en théorie la sécurité de chaque individu, tout en n’empêtrant pas sur la notion de « liberté de culte ».
Cependant, l’émergence de nouveaux débats modernes sur les sectes a montré que la législation française concernant les sectes n’est pourtant pas au point.
Les débats actuels
A] Concernant la Scientologie
Depuis récemment, le gouvernement se trouve face à une polémique :
Emmanuelle Mignon, secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy, a déclaré dans VSD : « [...] La scientologie, soit c’est une secte dangereuse et alors on l’interdit, soit elle ne pose aucun problème et on la laisse en paix [...] », « [...] Les sectes, c’est un non-problème en France [...] »
La secrétaire d’Etat a ainsi mis l’accent sur le manque de statut des sectes, qui peut mener à de l’intolérance envers certains cultes en raison de la connotation péjorative du terme avec lequel très peu de gens aiment se voir associer. C’est en tout cas ce que prônent certains mouvements : d’après eux, la position de l’Etat envers les mouvements religieux, trop stricte, est une « atteinte à la laïcité ».
Pour certains en revanche, la position de l’Etat est trop faible, et le gouvernement devrait aller jusqu’à interdire certains cultes considérés comme « dangereux » et qui pourraient apporter préjudice à l’individu. Or, ceci serait contraire à la notion de « laïcité » mise en avant en France depuis 1905.
Cette intervention d’Emmanuelle Mignon a donc une nouvelle fois ravivé les nombreux débats animant la question des sectes. D’un côté les associations de lutte contre les sectes s’inquiètent, et de l’autre la Scientologie en espérant voir disparaître son nom de la fameuse « liste » des sectes encourage les débats. Personne ne semble d’accord et la définition d’une secte est remise en question ainsi que la position que doit prendre la loi par rapport à ce « non-problème ». Cette remise en question montre bien à quel point la notion de « sectes » est floue, et l’on ne sait pas vraiment comment la caractériser.
Mais ce qui fait surtout parler, c’est le fait que la ministre ait déclaré que les sectes seraient un non-problème en France. Les sectes prennent de l’ampleur, et de nombreuses personnes se retrouvent « prise au piège » dans ces mouvements, mais il est vrai aussi, que les personnes y vont d’elles mêmes, de leur plein gré (sauf pour les enfants), et en quelque sorte, elles leur apportent un certain « réconfort ».
B] La MIVILUDES
Depuis les débats pro ou anti-sectes qui ont été ravivés notamment par la tragédie de l’Ordre du Temple Solaire, beaucoup ressentent le besoin d’une lutte efficace de l’Etat contre les dérivés sectaires. Ainsi, l’Etat a mis en place un organisme de « vigilance » qui fait surtout un travail de recensement sans réellement prendre de position afin de ne pas empêtrer sur la notion de laïcité.
La MIVILUDES (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérivés sectaires) est cet organisme, d’ailleurs le seul rattaché à l’Etat qui est directement rattaché au « problème » des sectes. Son rôle est donc en théorie d’importance.
Or, il s’avère que son fonctionnement est depuis peu souvent la cible de critiques. En effet, la MIVILUDES ne fait que recenser : elle n’agit pas. Elle n’est rattachée à aucun ministère particulier et à aucune affaire en particulier, son rôle est donc flou. Pour beaucoup, il est évident que la MIVILUDES n’est pas un outil assez puissant pour lutter efficacement contre les sectes. Les critiques qui affublent l’Etat en ce qui concerne les sectes sont davantage plus puissantes que cet organisme est la seule arme de l’Etat contre les sectes ; elle lui sert donc surtout de voile pour cacher un gouvernement peu apte à lutter contre les dérives sectaires.
En conclusion, nous avons mis en évidence une situation politique qui, du fait de la notion de « laïcité » et de la position importante des sectes dans sa société, est peu apte à protéger les individus des délits commis par ceux-ci. Il manquerait une législation initiée par une définition claire du terme « sectes » qui clarifierait une bonne fois pour toutes le sujet à polémiques que représente la question des sectes, que ce soit pour l’opinion publique, les médias, ou le gouvernement lui-même.
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